Emotions en chansons au printemps 2022

Grâce à Terre de Chansons, le printemps 2022 a été riche en émotions avec plusieurs événements qui ont marqué les esprits :

  • la Faites de la fraternité au théâtre du Toursky en mai où a été présenté le projet « On a tous dans le cœur un oiseau migrateur » articulé entre les 40 ans des chansons des enfants des quartiers nord de Marseille et l’opéra choral pour enfants « On n’arrête pas les oiseaux ». La présence des enfants des quartiers nord d’hier et d’aujourd’hui, les chorales des collèges de Fuveau et du collège Massenet ont fait vibrer le public, venu nombreux. Certains entraient pour la première fois dans un théâtre !
  • les concerts de juin à l’école de la Maurelette et au centre Social Fontainieu réunissant enfants et parents d’élèves s’inscrivaient également dans le cadre de ce projet, soutenu par la Fondation de France.
  • la présentation au cours de deux soirées consécutives du spectacle « On n’arrête pas les oiseaux » dans le cadre du Festival académique des chorales : 200 collégiens sur scène qui ont bouleversé le public d’une salle comble !

Témoignage de Mamia Ziadi, éducatrice de jeunes enfants en PMI sur le quartier de la Belle de Mai à Marseille :

 Une sortie ordinaire au théâtre Toursky

Elles sont prêtes pour le théâtre, elles sont belles, elles sont dignes ces familles.

Nous avons rendez-vous Place CAFFO, à la Belle de Mai, dans le carrefour des mondes. Le quartier le plus pauvre de France et d’Europe.

Les mamans portent leurs plus jolis vêtements. Nora porte ses bijoux Berbères qu’elle ne sort que pour les grandes occasions. C’est donc un grand évènement : « Le théâtre mérite que l’on se fasse belle pour lui » me dit-elle avec ses yeux chantants. « Je fais honneur à mon Art, car il m’a tout donné, je l’ai laissé là-bas… ». Nora a laissé derrière elle son école de danse, ses élèves, ses collègues ; pour se marier en France. Pour s’ouvrir encore plus au monde, et découvrir une nouvelle culture. Plus de liberté, plus de droits, plus de justice.

Laila a sorti son plus beau foulard, elle s’est fait des yeux de biches. Elle entrera discrètement dans le théâtre, sans faire de bruit, à pas feutrés ; comme la Jolie Biche à l’orée du bois.

Elle ne veut pas qu’on la remarque, elle a si peur que Malik, le deuxième de ses enfants fasse du bruit, et que tout le monde pointe son trouble.  Elle ne sait pas qu’elle éclaire ce jour si merveilleux pour elle et ses enfants, de son joli regard, les étoiles : Nedjma ! [1]

Linda s’est apprêtée de toute sa splendeur, en fidèle Algéroise ; elle incarne aujourd’hui ! Elle a la classe, le style, l’audace, la tchatche. Elle va donner le signal ! C’est elle qui va lâcher les premiers youyous que nous entendrons dans la salle de spectacle. Linda est une magicienne, elle est capable d’inverser l’ambiance partout où elle passe.

Linda est survoltée, mari, frère, enfants l’accompagnent. « Tu sais, je viens par solidarité pour tous les migrants, car j’ai la foi, et chaque jour je remercie la vie de m’avoir épargné ce terrible Voyage ! » Son petit frère d’une trentaine d’année baisse les yeux, la tête, il se voûte, il se cache, lui il l’a été ce Tibo, il l’est toujours d’ailleurs. Il l’a faîtes cette traversée sur un bateau crevé. Saoule , pour ne pas penser, entraîné par la musique des chants populaires, entonnés par les « srabs »[2] de BAB EL OUED[3]…Il l’a fait ce terrible Voyage, il est encore dedans. Lui, il sait la faim, la peur, la torture, l’angoisse. Regarder comme pour la dernière fois les visages frères, amis. Ressentir la douce brise quand la mer est calme, et se préparer au pire quand la mer est folle. Il a déjà étouffé le cri de l’enfant en lui, qui disait « Mama ! J’ai peur, prie la bonté d’Allah pour moi »

Linda sait tout cela, mais ce soir c’est elle qui va dégainer les premiers youyous ! « BABORD ![4] « On a tous dans le cœur, un oiseau migrateur » Ce crie qui perce le plafond du théâtre, pour son premier enfant resté coincé à ALGER. Englouti par la vive séparation depuis neuf ans d’avec sa maman. Linda a le cœur partagé en deux, il va et vient d’une rive à l’autre. Il baigne, il pleure, il se noie dans la Sainte Méditerranée.

Yamina s’est déplacée en famille. En bonne Cheffe de clan, elle bat la mesure, écoute attentivement, observe. Elle est accompagnée de son mari et de ses deux enfants, aussi discrets qu’une plume d’oiseau qui virevolte de ci, de là. Il émane d’eux le règne de la douceur, de la mesure et du respect. Je ne l’entends pas dire mot, tout est retenu, étouffé…Il ne faut pas déranger. Yamina ne me demande d’ailleurs jamais de l’aider, elle vient juste pour me parler un peu, puis elle repart avec la discrétion que je lui connais depuis des années.

Martine et Justine ont le port altier des grandes Dames Africaines. Elles ondulent de leurs mouvements dans une chorégraphie cadencée, chaloupée, balancée. Des Divas Mama ! Aujourd’hui c’est sûr, elles vont convoquer l’Afrique !  Telles deux Lionnes, elles vont veiller sur leurs enfants très amis, très proches.

Martine s’installe comme une reine, Thomas 4 ans son deuxième fils né à Marseille, est à ses côtés. Elle me dit « Je suis prête à me pencher sur mon histoire. Depuis 6 mois j’ai mes papiers et l’autorisation de travailler, alors je suis là avec mon petit, pour ne jamais oublier ce voyage, pour ne jamais oublier le bébé de 9 mois, que j’ai embrassé une dernière fois sur le tarmac, et que je n’ai pas revu depuis 6 ans. Je suis d’accord pour regarder cette traversée si longue qui occupe encore mes nuits. Il faut que Christian sache que je me bats tous les jours, pour que lui aussi puisse venir… Je ne l’ai pas abandonné » « Tu diras merci beaucoup aux personnes qui nous ont invité, et qui nous croient et nous comprennent » J’acquiesce…Bien sûr.

Rahma et Soukainata se sont enveloppées de leurs plus beaux Chiromani[5] colorés aux rêves de Mayotte et des Comores. Les bébés sont tous bien habillés, tout le monde est vêtu de sa tenue traditionnelle comme s’il se rendait au mariage.

Cet après-midi-là, en réalité, tous, nous nous rendîmes à une fête spéciale !

Nous avons des laissez- passer, nous pouvons être confiants, nous sommes attendus et seront bien accueillis ! C’est le Monde et toutes ses couleurs qui vibrent dans la salle ! C’est notre Monde de Marseille, de la Belle de Mai !

Qui, pour parler de troubles du comportement cet après-midi ? Qui parle de pathologie ? Qui parle de logements insalubres ? Qui parle du manque d’argent pour nourrir sa famille, ici et là-bas ! Aujourd’hui nous sommes libres ! Aujourd’hui, nous avons des papiers ! Aujourd’hui nous ne prendrons pas des chemins de traverses pour éviter les contrôles de police, aujourd’hui nous pourrons être tranquilles et profiter de ce moment, de se tanquer dans le présent, dans l’instant. Aujourd’hui, nous serons reliés par la force de la musique aux deux continents, avec lesquels habituellement nous faisons le grand écart. Cul entre deux chaises ! Deux mondes si lointains qui ne font qu’un désormais. Nous ne serons plus ici ou là-bas.  Coupés en deux. Dissociés. Aujourd’hui, nous n’aurons pas à choisir, car il s’agit tout bonnement d’humanité, de Paix. Il est question juste d’être là et de s’abandonner au pouvoir du chant et de la musique.

Ce soir nous nous reconnaitrons dans chaque mot, dans chaque enfant, dans chaque instrument, dans toutes les mélodies. Ce soir, nous accepterons les applaudissements, ce soir nous accepterons de les partager avec le chœur des enfants, avec les chanteurs, avec tous les musiciens. Ce soir, ces applaudissements, iront tout droit vers nous, car nous avons fait ce grand voyage. Ce soir nous comprendrons encore pourquoi nous sommes ici et pourquoi nous avons fait ce choix, et pourquoi il faut rester ici !

Personne ce soir pour nous mal regarder, nous sommes riches de cœur, c’est l’humanité toute entière qui s’est donnée rendez-vous, et qui se regarde enfin dans le miroir de la réalité. Hommes, femmes et enfants reliés tous ensemble, et qui écoutent le cœur battant fort dans la poitrine « On a tous dans le cœur un oiseau migrateur »

« Alors, c’est cela aller au théâtre »me siffle Rahma la maman de Nadjidou. Mais ça parle de nous, les étrangers, c’est ma vie ». Nadjidou se bouche les oreilles, il est impressionné par toutes ces sonorités nouvelles ; mais il rit d’excitation, comme si cela le renvoyait à l’environnement sonore dont il a été imprégné, du temps où il était dans le ventre de sa maman. Il se love contre elle…Le village…la communauté tout autour… La rêverie de sa maman enceinte de lui… Sa sœur Nadjwa invite le monde de son sourire, elle attrape chaque bouffée de vie qui s’agite dans ce théâtre. Elle a 9 mois, elle tape des mains, c’est son premier spectacle ! Elle est là, présente et heureuse, dans ce moment intense de joie. Tous les trois entourés, portés, dorlotés. A l’abris.

Ici, elle n’est pas hébergée, contrainte de se faire plus petite qu’elle ne l’est. Elle peut laisser éclater sa joie, elle peut crier comme un bébé. Chanter, faire des vocalises, extérioriser toute cette grande énergie qu’elle est obligée de taire, pour ne pas déranger et perdre l’hébergement…C’est une très grande responsabilité sur les épaules d’un tout petit bébé.

Nadjidou me sourit, avec ses jolis yeux en amandes et il chantonne les petites comptines que nous partageons ensemble habituellement lors de nos rendez-vous hebdomadaires. « Oui Nadjidou, nous allons chanter ensemble, et partager de nouvelles chansons…Nous sommes les enfants, des quartiers nord… »

Laila, toute intimidée me demande de rester un peu à côté d’elle, cette expérience est si nouvelle qu’elle a peur que Malik lui échappe. Elle appréhende sa réaction, elle craint qu’il coure partout, qu’il crie. Je l’accompagne dans la découverte de cette expérience nouvelle, et l’encourage à se faire confiance. Elle saura trouver les mots et les bonnes postures pour apaiser Malik dans ce moment nouveau…Malik est détendu, comme bercé par la musique. Il va s’endormir un peu, puis à son réveil, il guidera sa maman jusqu’au-devant de la scène, pour s’imprégner encore plus de cette sensation de portage originel. Sa maman, se laisse porter par ce fil quasi magique, invisible. Aujourd’hui cette maman a fait le voyage vers l’apaisement.

Abdelkader son grand de 10 ans, a choisi de profiter du spectacle tout seul, il a annexé une rangée de sièges pour mieux se concentrer et comprendre tout. Il me dit « j’ai besoin d’espace » Il est comme le Capitaine du bateau que chante HAKIM HAMMADOUCHE. Prêt à se lancer dans le voyage d’exil de sa maman. Il veut faire face ! S’il doit chavirer, il chavirera ! S’il doit vaciller, il vacillera !  Dans la salle, le Chœur d’enfants vibre « Dis-moi, d’où viennent nos parents… »

Il est jeune, il est fort ! Il est Roi de la Méditerranée … SIDI EL HOUARI[6] …MASSINISSA[7]… pour saisir entre ses deux mains, le grand rêve d’Europe de sa maman. Il tiendra d’une seule main ce « BABORD » et défiera de toute sa grandeur d’enfant le rêve de tous les Africains ! Il vient de construire le tant rêvé « Afro tunnel » !

BILA HOUDOUD ! [8]

Laila est émue dès qu’elle entend les premières notes. C’est elle dont on parle, c’est son histoire que ces petits républicains lui chantent avec leur cœur. Comme Yamina, elle se laisse emporter par les chants, le flot des notes flamboyantes. Une pensée la traverse « alors oui, on peut raconter notre histoire à nos enfants, et les gens viennent pour écouter la dureté de notre voyage, ils payent pour cela ? Et la maman de Sofia d’entonner « combien de tentatives pour venir jusqu’ici ?  Combien de litres de sueurs la nuit, le jour. Cachés, sans manger, la peur au ventre, pour supporter tout cela. Être des sans-papiers, c’est se sentir déshumanisée, dévalorisée. Souvent, je dis c’est fini pour moi. Il n’y a plus d’espoir. Puis je regarde Sofia et je me lève. Moi, maintenant je manque de mots »

Yamina l’enveloppe de son regard bienveillant et ajoute « Je suis contente et en même temps triste…tout me parle dans ce spectacle, je suis touchée…Il donne l’espoir pour les migrants pour qu’il y ait l’égalité entre tous les êtres humains…Nous, on peut être comme les gens d’ici. C’est lourd notre histoire pour avoir des papiers, tu as des capacités, mais tu ne peux pas bouger, tu ne peux pas te déplacer, tu es comme en prison dehors, tu as honte comme si tu avais fait du mal. Moi j’ai des diplômes, mais je n’arrive pas, j’ai les mains liées. C’est injuste de ne pas pouvoir dire que je travaille, de devoir cacher que je travaille »

Demandons-nous alors ce que représente une sortie au théâtre pour ces familles ! Une simple sortie ordinaire… Une passerelle vers la culture. Par excellence c’est sûr, un processus de   ré -humanisation a opéré. Mamans, papas, bébés, enfants ; reconnectées avec leurs émotions les plus enfouies. La violence des situations de vie vécues, la puissance du trauma évacuée en un tour de notes de musique. N’est-ce pas le pouvoir de l’art et de l’éveil à la culture, de remettre en équilibre les forces contraires qui s’affrontent dans un quotidien assourdissant ?

Sérieusement, voyons le rôle majeur de l’accès à la culture, comme un catalyseur d’émotions pour petits et grands ; quand les conditions de vie relèvent plus du mode Survie, dans une aussi grande ville que Marseille…qui a tant besoin de tous ces petits oiseaux migrateurs !

Alors, que peut représenter un tel spectacle pour ces parents ? Lorsque ceux-ci sont malmenés par des situations administratives aussi complexes ; lorsque leur niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Lorsque nos institutions républicaines, et de service publiques se désengagent chaque jour un peu plus. Cette sortie fut une porte ouverte sur la possibilité d’un espoir, une « enveloppe » sécure pour affronter encore et encore ce qui se présentera demain.

Le spectacle « on n’arrête pas les oiseaux » a permis l’expression de l’indignation face à la misère et la pauvreté qui grondent partout à la Belle de Mai. Le constat, est qu’il relève du miracle qu’un bébé reste un bébé, et non pas un bébé au regard qui a déjà tant vu. Un bébé qui est dans l’effort constant d’animer sa maman. Oui ce regard tout chaud, empli de pureté, qui a déjà vécu l’expérience du rejet de l’autre, le refus de protection et de solidarité !

Une sortie juste ordinaire avec ces familles, et c’est l’accès pour elles, à de la pensée. La Liberté, le repos, le répit, la protection, l’asile ! Oui ! Haut et fort disons-le, quand nos institutions jouent le jeu de la déshumanisation envers les personnes vulnérables, c’est vers L’ART, l’expression de sa créativité qu’il faut se tourner. Car en ayant eu accès au spectacle « on n’arrête pas les oiseaux » tous les voyages vécus, ou imaginaires furent possibles !

Ce spectacle pour les grands, les cultivés du culturel, les pauvres, les riches, les petits, les bébés, fut La Sortie de l’année ! Mais par-dessus tout, l’éclosion du sentiment de se sentir à sa place, reconnu, digne, exemplaire, pas jugé, pas stigmatisé.

Les chants ont entrainé ces enfants de 9 mois à 10 ans, et leurs parents dans une caresse pleine de douceur, tel un baiser qui réconforte. Celui de son aïeul qui nous dit un jour de grand départ « Mon enfant, je te bénis, vas vivre ton rêve, et reviens nous encore plus fort. Que tous les anciens qui ont porté ce rêve avant toi, veillent sur toi, et te guident d’un pas sûr, vers ta destinée ». « Mon enfant, sois confiant » En vérité, nous partons tous comme un enfant ; et cet après-midi-là ; nous étions tous Tibo. Des enfants rêvant d’une vie meilleure.

Cher Monsieur Daniel BEAUME !

Nous sommes les enfants des quartiers nord

Nous sommes les enfants, d’Afrique du nord

Nous sommes les enfants, des grandes Comores

Nous arrivons de loin, jusqu’au Vieux Port !

[1] Nedjma signifie étoile en arabe.

[2]« Srabs » signifie les copains en arabe

[3] BAB EL OUED est un quartier populaire à ALGER en ALGERIE

[4] BABORD signifie bateau en arabe dialectal

[5] Chiromani est une tenue traditionnelle des iles COMORES, Océan Indien

[6] SIDI EL HOUARI est le saint patron de la ville d’Oran en ALGERIE depuis 1509

[7] MASSINISSA né vers 238 av J-C Vaillant Roi Numide Berbère son Nom signifie le seigneur

[8] BILA HOUDOUD signifie en arabe sans frontières